Bosnie-Herzégovine  De l’intégration européenne à la désintégration

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17 décembre 2021 par

Géopolitique

[ Tableau : Pont-Romain à Mostar – Római híd Mosztarban 1903 ]

Introduction 

Après la fin de la guerre par la signature des accords de Dayton, la Bosnie Herzégovine a dû effectuer une triple transition : passage de la guerre civile à la paix civile,  du titisme à la démocratie libérale et enfin du collectivisme à l’économie de marché. Ce pays a ainsi été le théâtre de la reconstitution d’un État sous la direction de la communauté  internationale. Depuis 2004, l’Union européenne a pris le relai de la mission de stabilisation  de l’OTAN avec l’opération Althéa et le déploiement de l’EUFOR. Elle est également chargée de faire respecter les accords de Dayton et désigne le haut représentant qui dispose de  prérogatives très étendues en ce sens, faisant de facto de ce pays, un protectorat. La Bosnie  constitue donc une première expérience d’une politique extérieure européenne. Cependant,  après deux décennies de transition soutenue par des aides et investissements de la  communauté internationale, l’économie bosnienne est restée au point mort et le pays est  même l’un des plus pauvres du continent européen. Paradoxalement, Laurent Geslin [1] remarquait qu’après des pertes humaines et matérielles bien supérieures durant la Seconde  Guerre mondiale, la Bosnie, à l’époque, avait rattrapé son niveau de production d’avant guerre en moins de 5 ans. 

Comment alors la politique menée par la communauté internationale sur une période d’un  quart de siècle n’a-t-elle pu obtenir de résultats probants ? Il s’agira ici de s’interroger sur la  cohésion d’un peuple bosnien pluriethnique pour en venir à la question de l’évolution de  l’État bosnien et enfin aborder les buts et moyens de la politique extérieure européenne dans  la construction d’un tel État. 

 

Un peuple uni dans un État bosnien pluriethnique ? 

Quand il s’agit de discuter de l’histoire du peuple bosnien, on se retrouve vite  confronté au fait que celui-ci se divise en trois groupes distincts ; les Serbes, les Croates et les  Bosniaques, qui forment aujourd’hui les trois « peuples constitutifs » de Bosnie-Herzégovine. Dès lors, pour étudier la constitution éventuelle d’un peuple bosnien au XXIe siècle, il  convient d’aborder l’histoire et les relations de chacune de ses composantes. À l’origine Slaves, ces trois groupes se sont séparés et différenciés au gré de l’influence des  différents empires auxquels ils ont été assujettis. 

Les Croates ont fait partie du royaume hongrois dès 1102 puis de l’empire des  Habsbourg en 1527 et austro-hongrois jusqu’en 1918. La Dalmatie étant, elle rattachée à la  république de Venise, puis devint la république de Raguse. Les Croates sont ainsi parties prenantes de la sphère d’influence catholique, et à l’intersection des sphères latines, magyares  et germaniques. De plus, au sein de l’Empire autrichien, ils se situent dans les « confins  militaires », les krajine servant de « rempart de la chrétienté » face aux Turcs. 

Les Serbes ont formé un premier royaume entre le IXe et le XIe siècle, puis un second  de la fin du XIIe siècle à l’annexion à l’Empire ottoman en 1459. La Serbie réapparait en  1815 sous forme de principauté autonome, puis s’ensuivra l’indépendance. Ils furent convertis  au christianisme orthodoxe dès le IXe siècle par les moines Cyrille et Méthode. À travers le  soutien aux tentatives de reconquête des armées autrichiennes contre les ottomans ou encore  une première indépendance menée par Karadjordje en 1804, dont le descendant Pierre Ier  deviendra souverain de Serbie, la résistance contre l’envahisseur turc constitue l’une des  pierres angulaires de l’histoire serbe. Enfin, de par les alliances et stratégies des grandes  puissances dans la région, ils furent dans les sphères d’influence russe et française. 

Les Bosniaques, au cours de leur histoire, ont successivement fait partie de l’Empire  byzantin, des royaumes hongrois et serbes, puis ont été intégrés après 1463 à l’Empire  ottoman jusqu’en 1878 où le territoire de la Bosnie a été placé sous protectorat autrichien  avant d’être annexé en 1908. Peuple slave ayant développé une Église autonome, ils furent à  la fois persécutés par les catholiques et les orthodoxes, puis se sont rapidement convertis à  l’Islam après la conquête ottomane. Jean-Arnault Dérens [2] explique ce phénomène par « la  faiblesse des structures ecclésiastiques dans un pays partagé par les deux influences, celle de  Rome de celle de l’orthodoxie. » Au XIXe siècle, avec l’éveil des nationalismes, le sentiment  national bosniaque fut exalté par l’empire habsbourgeois pour contrer le nationalisme serbe [3]

Ainsi, il apparaît que les trois composantes du peuple bosnien se sont historiquement  construites, d’une part, sous l’influence de puissances extérieures, d’autre part en opposition  les unes des autres. Mais alors, doit-on conclure à une sorte d’atavisme condamnant toute  tentative de cohabitation de ses composantes dans une entité étatique ? 

On retrouve chez de nombreux auteurs [4] la défense du concept de komšiluk (« bon  voisinage ») contre cette idée et en tant que modèle viable d’une société multiculturelle  bosnienne. Sous l’Empire ottoman : le komšiluk reconnaissait la séparation des narodi (groupes ethniques) tout en entretenant la coopération des différents groupes par une  régulation intercommunautaire au niveau local. Ce faisant, le komšiluk entretenait la  différenciation, mais ne proposait pas la formation d’une identité commune en surplomb des  différences, ce qui, lorsque le conflit a éclaté, a servi les actions d’épuration ethnique, puisque  l’appartenance communautaire de tout un chacun était connue de tous. La formation d’une identité commune susceptible de rassembler les différentes  composantes du peuple bosnien n’a commencé qu’avec la brève expérience des Provinces  illyriennes fondées par Napoléon puis s’est concrétisée par l’identité yougoslave après la  Seconde Guerre mondiale. Ainsi, le yougoslavisme bien que reconnaissant les nationalités de  chaque groupe (même de groupes aujourd’hui considérés comme minorités : les Roms,  Hongrois, Autrichiens, etc.) proposait une identité commune à ces peuples afin de bâtir le  projet communiste. Les peuples étaient partie prenante de la construction de l’État. 

Il apparaît donc que tout au long de leur histoire, la cohabitation au sein d’un même  État a pu se faire, mais dans le cadre de la domination d’une puissance extérieure (Empires  autrichien, ottoman), ou d’un régime autoritaire (Royaume serbe, Yougoslavie de Tito). 

Le morcellement de la Yougoslavie commença, dès 1974. La constitution adoptée  transféra l’essentiel des prérogatives aux Républiques [5] . Ainsi l’affaiblissement de l’État  central, puis la mort de Tito en 1980, entrainèrent l’affirmation de revendications nationales  en Slovénie et Croatie d’une part, car en tant que régions les plus riches, elles contestaient la  redistribution vers les régions pauvres de la fédération au profit d’un rapprochement avec  l’occident, d’autre part, en réaction à la volonté de domination serbe incarnée par Milosevic. 

L’effondrement de l’identité yougoslave a accompagné celui de la Yougoslavie, au  profit des identités ethniques. En Bosnie, les accords de Dayton ont entériné la reconnaissance  d’un État mono ethnique serbe (République serbe de Bosnie) et d’un État croato-bosniaque (Fédération de Bosnie-et-Herzégovine). Cette territorialisation des communautés maintenues  au sein d’un même État fédéral (Bosnie-Herzégovine) a accentué le développement de  sentiments nationaux divergeant, favorisé le maintien des partis nationalistes [6] dont la  rhétorique se trouve par ailleurs renforcée par l’image de mise sous tutelle de l’État bosnien [7]  induite par l’autorité exercée par le Haut Représentant. 

Au lieu d’unir les peuples, les institutions issues de Dayton entretiennent les clivages  nés de la guerre et empêchent l’émergence d’un nouveau paradigme. Il est révélateur de  constater que la notion de « peuple bosnien » soit absente de la Constitution, tout comme le  terme « Bosnien » par ailleurs. Si l’émergence d’un sentiment national bosnien semble donc peu probable, réapparaît en revanche dans l’ensemble des Républiques d’ex-Yougoslavie, un  phénomène, dit de « yougonostalgie [8] ». La yougonostalgie, à défaut d’unir les peuples sous un  seul État, pourrait néanmoins, en tant que socle historique commun, poser les bases d’une  réconciliation et de coopération entre les peuples d’ex-Yougoslavie. 

carte

La réalité d’un État bosnien aujourd’hui ? 

La création de l’État de Bosnie-Herzégovine est frappée d’un vice de conception  fondamental ; la Constitution de cet État, qui figure en annexe des accords de Dayton, fut rédigée par des diplomates internationaux, mais jamais approuvée par la voie référendaire par  la population. En d’autres termes, afin de succéder au régime titiste, la communauté  internationale a souhaité favoriser l’implémentation d’une démocratie libérale… sans la  participation du demos

Au-delà de cela, cette constitution distingue trois peuples constitutifs, trois demos ; les  Serbes, Croates et Bosniaques et entérine ce qui constituait les buts de guerre de chacun des  partis : création d’une entité étatique serbe, mais maintien de celle-ci au sein de la République  de Bosnie-Herzégovine. Il y donc ici contradiction, car d’une part elle reconnait l’existence de différents peuples, chacun vivant dans une entité lui étant propre (avec une constitution, un  gouvernement, un parlement, etc.) tout en les maintenant dans un État fédéral à vocation  pluriethnique auquel l’adhésion populaire lors de sa création est discutable, puisqu’elle  intervint à la suite d’un conflit où la purification ethnique des territoires était une stratégie  largement employée. 

D’autre part, l’action même de cet État central aux domaines de compétence très  restreints n’a eu de cesse d’être contestée, allant jusqu’au refus de l’application de certaines réformes par les entités fédérées. A contrario, le Haut-Représentant, doté lui de prérogatives  très larges depuis la conférence de Bonn de 1997 est capable, entre autres, de destituer des  responsables politiques et de faire imposer les réformes, comme cela fut le cas, par exemple, avec la réforme de la constitution en 2002. Au final, l’État central se trouve décrédibilisé et  vidé de sa substance, au profit des entités pilotées par les partis nationalistes, qui ont pu jouer  sur l’idée d’une contrainte par une force extérieure pour se défausser de la mise en place de  mesures impopulaires, mais en même temps se maintenir au pouvoir en la dénonçant et en  faisant figure d’opposition [9]

La structure administrative de l’État bosnien demeure de surcroît extrêmement complexe, avec des institutions se multipliant au niveau de l’État central, des entités et des  cantons : 15 agences de polices, 13 ministères de l’Intérieur, 11 ministères de l’Éducation. De  plus il faut ajouter à cela une constitution au niveau fédéral, puis une pour chaque entité et  enfin une par cantons. Cela fait de la Bosnie l’État le plus bureaucratisé au monde et rend très  difficiles la production législative et le respect de celle-ci. Ainsi, 24 ans après la création de  l’État bosnien, subsistent encore des cantons où la constitution n’a pas été harmonisée avec  celle de la Fédération de Bosnie-et-Herzégovine et par conséquent ne garantit pas l’égalité des  citoyens serbes (la réforme datant de 2002). En dehors d’occasionnelles pressions  internationales, la structure des administrations ainsi que les oppositions politiques des différents groupes ont maintenu le pays dans un système autobloquant, empêchant toute sortie  de crise. 

Un dernier point important ayant sévèrement porté atteinte à la viabilité de l’État  bosnien vient de la reconnaissance de l’indépendance unilatérale du Kosovo par une partie de  la communauté internationale, notamment la sphère occidentale, également architecte de la  construction bosnienne. Ce faisant, toute revendication d’indépendance ou de rattachement de  la Républika Srpska à la Serbie se trouve confortée par le précédent du Kosovo, comme cela a  été utilisé par ailleurs avec l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie en 2008, ou plus récemment avec la  Crimée. Selon ce qui ressort du dernier rapport en date du Haut Représentant [10], cette option  est ouvertement envisagée par le Président de la Républika Srpska au vu de ses déclarations  prônant le rattachement de l’entité serbe à la Serbie [11] et la remise en question de la Bosnie Herzégovine en tant qu’État [12] allant jusqu’à la menace de sa dissolution [13]. De plus, l’abrogation, par la République Srpska, du rapport de 2004 sur Srebrenica qui y reconnaissait  l’implication de ses forces armées, compromet sérieusement le processus de réconciliation. Ce  qui est par ailleurs confirmé par le Haut Représentant de l’ONU [14], au sujet de la  recrudescence des achats d’armes, ainsi que par Federica Mogherini [15] qui écrit que la  présence de l’EUFOR permet d’éviter une reprise du conflit. 

kosovo

Les évènements des derniers mois marquent un pas supplémentaire vers la  désintégration de la Bosnie-Herzégovine. Après de nombreuses déclarations de Milorad  Dodik [16], président de la République serbe de Bosnie, l’adoption par l’Assemblée de la  Républika Srpska de 5 textes portant sur la création d’institutions parallèles concernant les  domaines de la fiscalité, la sécurité, la défense et la santé portent les préludes d’une démarche de sécession [17]. Par ailleurs, les Croates de Bosnie via leur dirigeant Dragan Čović, soutenus  par la Croatie, poussent également au séparatisme à travers la promotion d’un renforcement  de la législation autour du caractère ethnique du vote (donc d’une « réorganisation »,  comprendre plutôt « détricotage » des institutions fédérales) auprès de l’UE et des  Américains [18], allant même jusqu’à voter au côté des Serbes l’abrogation de la loi pénalisant la  négation de génocide [19]

Sommes-nous alors à la veille d’un nouveau conflit généralisé en Bosnie, comme le  craint le représentant de l’ONU [20] ? Si les tensions sont bien réelles, que l’entité serbe semble  se diriger vers le retrait de ses troupes de l’armée fédérale et la création de sa propre armée,  on constate également que ce qui motive les différents groupes nationalistes n’est pas tant une  animosité envers les autres groupes ethniques (bien qu’existante), mais au contraire une  volonté d’émancipation, une lassitude commune de cette création occidentale artificielle issue  des accords de Dayton et dans laquelle ils se trouvent enfermés qu’est la République fédérale  de Bosnie-Herzégovine. 

L’intégration européenne comme seule perspective d’avenir ? 

Après avoir étudié les conséquences de la politique internationale à travers les  structures instituées par les accords de Dayton, il s’agit à présent de s’intéresser plus  particulièrement à celles de la politique européenne, qui a progressivement pris le relai à partir  de 2004. 

eufrSi l’Union européenne a mis en place une approche globale à travers différents  instruments militaires, civils et économiques il semblerait que les résultats soient pour le  moins mitigés. En terme militaire et civil, s’il se trouve que les violences se sont faites très  rares et que l’EUFOR n’a jamais eu à intervenir pour maintenir la paix, Marco Overhaus [21] explique que c’est avant tout du fait que l’EUFOR n’a été déployée que neuf ans après la fin  du conflit, alors que la stabilisation, la démobilisation des combattants et la fin du recueil  d’armes ont été assurées par la SFOR de l’OTAN. Il faut également s’interroger sur les  objectifs politiques de l’UE en Bosnie. 

Lors du sommet de Thessalonique en 2003, l’UE a défini son élargissement aux  Balkans occidentaux comme un objectif. Ainsi, après plus d’une décennie d’investissement  dans les champs politiques, économiques et militaires, la lenteur voire l’absence de réformes  venant du système autobloquant de la Bosnie-et-Herzégovine, l’UE se voit obligée de  modérer ses exigences pour que cet objectif ne soit pas compromis et que tous ses  investissements ne passent par pertes et profits. Ainsi il semble que l’UE ait pour politique de  privilégier la mise en conformité de la Bosnie-et-Herzégovine avec ses critères d’admission,  au détriment d’un développement économique durable afin d’asseoir la viabilité de l’État et le  bien-être de la population, ce qui aurait pourtant dû constituer une étape préalable. 

L’un des leviers diplomatiques que l’UE pouvait faire valoir afin de faire pression  pour la mise en place de réformes était l’avancement du statut de la Bosnie à l’entrée dans  l’UE. Un tournant de la diplomatie européenne en Bosnie eut lieu en 2008 avec la réforme  autorisant le transfert de la gestion des pouvoirs de police à l’État central qui devait  conditionner la signature d’un accord d’association avec l’UE. La réforme échoua, mais l’UE  signa tout de même l’accord. Or, pour que la pression politique afin de mener des réformes  fonctionne, il faut d’une part qu’elle soit crédible en termes de représailles autant qu’en  termes d’incitation. Nous avons vu que la menace de ne pas signer l’accord n’a pas été tenue,  mais qu’en est-il de la perspective d’intégrer l’UE ? 

Si l’UE jouissait d’une image de paix et de prospérité, il semble que son soft power ait  été affaibli par le traitement des pays d’Europe du Sud lors de la crise de la zone euro [22], puis par la situation des pays voisins ayant rejoint l’UE comme la Roumanie, Bulgarie ou la  Croatie. L’exemple de cette dernière démontre une certaine incohérence dans la politique  d’intégration régionale de l’UE : en intégrant celle-ci, la Croatie a rapidement vu une partie de  son industrie disparaître [23] au nom de la politique de concurrence, puis a dû quitter l’Accord de  libre-échange centre-Européen (ALECE) qui constituait une part de ses débouchés  traditionnels sans que cela puisse être compensé sur le marché européen, ce qui l’a fragilisé,  mais a également fragilisé… La Bosnie, qui, elle aussi, exportait vers la Croatie et a vu se  fermer l’accès au marché croate à une partie de ses marchandises, mais aussi aux travailleurs  bosniens travaillant en Croatie [24]

Conclusion 

Après 24 ans de transition politique et économique, la Bosnie-et-Herzégovine  constitue un piège autobloquant, où demeure enchevêtrée dans des structures inadaptées la  variété de peuples qui la compose. La situation économique malgré l’aide et la tutelle  internationale n’a pas connu d’amélioration significative ; tout comme les institutions, les  peuples sont restés divisés sur les clivages issus de la guerre. L’Union européenne a réussi à  maintenir un certain statu quo politique, mais en se concentrant uniquement sur l’intégration  des pays des Balkans un par un, elle a brisé les interdépendances préexistantes et fragilisé la  situation économique régionale. 

Alors que le processus d’intégration à l’UE semble enlisé par les blocages de la  situation politique d’une part, et la stagnation économique d’autre part, cette dernière — sous  l’impulsion de l’Allemagne, et après avoir perdu pied lors de la crise du covid — tente de  relancer une dynamique [25], que cela soit via l’aide covid à hauteur de 3 milliards d’euros, ou  encore un plan d’investissement dans les infrastructures et la transition énergétique de  30 milliards sur sept ans [26], notamment pour faire face aux progrès de la Chine et de la Russie  dans la région, mais aussi en réaction à l’accélération de l’instabilité comme on le voit en  Bosnie. 

Compte tenu de l’emplacement stratégique qu’il occupe dans les Balkans, il convient  de prendre en compte que l’évolution de l’État bosnien est étroitement associée à l’évolution  des intérêts géopolitiques et doctrines des grandes puissances dans la région. Or, le pivot des  États-Unis vers l’Asie, la progression de la Chine avec les nouvelles Routes de la Soie,  l’affirmation de la Russie sur la scène internationale, en particulier en tant qu’acteur  énergétique de premier ordre, les pressions des États voisins – Serbie et Croatie en tête –, les  velléités séparatistes clairement affichées en Républika Srpska et l’éloignement de la  perspective d’adhésion, étant donné la division des États membres au sein de l’UE – qui non  seulement a gelé son expansion, mais a vu son périmètre rétrécir pour la première fois de son  histoire en 2020 avec le Brexit – ne jouent pas en faveur de la stabilité politique et  économique de la région. À terme, il n’est donc pas exclu que nous assistions à une remise en  cause des frontières et de l’organisation issue de l’effondrement de la Yougoslavie pouvant  aller jusqu’à la désintégration de la Bosnie. 

Rémy Rocquencourt


Notes : 

[1] Laurent Geslin, « Dix ans après Dayton : la Bosnie-Herzégovine à l’heure du bilan », Confluences  Méditerranée, 2006/1 (N° 56), p. 176.

[2] J-A Dérens & Laurent Geslin, Comprendre les Balkans. Histoire, sociétés, perspectives, Non Lieu, Paris, 2018,  p.72.

[3]Ibid., p. 35.

[4] Xavier Bougarel, Bosnie. Anatomie d’un conflit, Paris, La Découverte, 1996 ; cité par J-A Dérens & Laurent  Geslin, Comprendre les Balkans. Histoire, sociétés, perspectives, Non Lieu, Paris, 2018, p. 46 ; Corelia Sorabji, Bosnian Neighbourhoods Revisited : Tolerance, Commitment and komšiluk in Sarajevo, p.147 ;  cité par Magali Bessone, « Multiculturalisme et construction nationale : le cas de la Bosnie-Herzégovine »,  Raisons politiques, 2010/4 (n° 40), p. 16

[5] « Le pays glisse vers le confédéralisme et se transforme en une addition de huit nations, de huit économies et de  huit partis communistes locaux ayant souvent des objectifs et des ambitions contradictoires. » J-A Dérens &  Laurent Geslin, Comprendre les Balkans. Histoire, sociétés, perspectives, Non Lieu, Paris, 2018, p. 107.

[6] Laurent Geslin, « Dix ans après Dayton : la Bosnie-Herzégovine à l’heure du bilan », Confluences  Méditerranée, 2006/1 (N° 56), p. 176. 

[7] Nebojsa Vukadinovic, « Bosnie-Herzégovine 2002-2003. Un pas en avant, deux pas en arrière », Le Courrier  des pays de l’Est, 2003/6 (N° 1036-1037), p. 21.

[8] J-A Dérens & Laurent Geslin, Comprendre les Balkans. Histoire, sociétés, perspectives, Non Lieu, Paris, 2018,  p. 224. 

[9]   Xavier Bougarel, « Dayton, dix ans après : le leurre des bilans ? », Critique internationale, 2005/4 (no 29),  p. 13.

[10] Valentin Inzko, « Cinquante-quatrième rapport du Haut Représentant chargé d’assurer le suivi de l’application  de l’Accord de paix relatif à la Bosnie-Herzégovine, adressé au Secrétaire général de l’Organisation des Nations  Unies », Bibliothèque numérique de l’ONU, 30 octobre 2018. 

[11]  « Nous sommes à un tournant historique : il s’agit de définir notre politique globale pour constituer un seul  espace national, que nous gérerions aussi administrativement. Qu’est-ce que cela signifie ? Pourquoi ne pas en  parler ? Tous les autres peuples sont autorisés à parler. Les musulmans parlent de leur propre État. Les Albanais  parlent de leur État. Les Croates ont déjà réglé leur situation à cet égard. Les Serbes sont les seuls privés du droit  de parler d’un État. Eh bien, je veux en parler. Je suis persuadé que la Serbie et la Republika Srpska seront à  l’avenir un seul État. » Milorad Dodik, entretien « Circilica », TV Happy, le 16 juillet 2018. 

[12] « La Bosnie-Herzégovine est constituée d’éléments disparates. Ce n’est pas un État. Elle n’est pas reconnue au  niveau international. » Milorad Dodik, conférence à la Faculté des sciences politiques de Belgrade, Tanjug/Face  TV, le 30 mai 2018.

[13]  « Désormais, la Bosnie-Herzégovine devra faire face à deux options : exister en tant que structure de Dayton  avec des compétences garanties pour les entités ou s’acheminer irréversiblement vers une dissolution pacifique. »  Milorad Dodik, Assemblée nationale de la Republika Srpska, le 5 octobre 2018.

[14] « Je suis profondément préoccupé face aux achats disproportionnés d’armes à canon long par certains services  des forces de l’ordre. », Valentin Inzko, « Cinquante-quatrième rapport du Haut Représentant chargé d’assurer le  suivi de l’application de l’Accord de paix relatif à la Bosnie-Herzégovine, adressé au Secrétaire général de  l’Organisation des Nations Unies », Bibliothèque numérique de l’ONU, 30 octobre 2018.

[15] Frederica Mogherini, « Rapport de la Haute Représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères  et la politique de sécurité concernant les activités de l’opération militaire de l’Union européenne en Bosnie Herzégovine », Bibliothèque numérique de l’ONU, 15 novembre 2018.

[16] « Bosnie-Herzégovine : Dodik a-t-il un plan pour la sécession de la Republika Srpska ? », Le Courrier des  Balkans, 18 octobre 2021. 

[17] Aline Cateux, « Bosnie-Herzégovine : un pas de plus vers la sécession de la Republika Srspka ? », Le Courrier  des Balkans, 11 decembre 2021. 

[18] Aline Cateux, « Bosnie-Herzégovine : Dragan Čović veut inscrire la division ethnique dans la Constitution »,  Le Courier des Balkans, 9 décembre 2021. 

[19] Aline Cateux, « De Sarajevo à Zagreb, feu d’artifice de provocations croates », Le Courrier des Balkans, 13  décembre 2021.

[20] « Bosnie-Herzégovine : la communauté internationale et la « très réelle » perspective de conflit », Le Courrier  des Balkans, 3 novembre 2021.

[21] Marco Overhaus, « Bosnie-Herzégovine : les limites de la gestion de crise à l’européenne », Politique  étrangère, 2009/3 (Automne), p.629 

[22] J-A Dérens & Laurent Geslin, Comprendre les Balkans. Histoire, sociétés, perspectives, Non Lieu, Paris,  2018, p. 286. 

[23]  « Les chantiers navals croates paient l’Europe au prix fort », Ouest-France, 16 juin 2013.

[24] Sophie Guesne, « Dubrovnik, nouvelle frontière de l’Union européenne », La Croix, 2 juillet 2013. 25 Conseil européen, « Déclaration de Zagreb », Communiqué de presse, 6 mai 2020. 

[25] https://www.consilium.europa.eu/media/43780/zagreb-declaration-fr-06052020.pdf

[26] Calotta Morteo, « Balkans occidentaux : un sommet pour faire patienter des pays en quête d’une adhésion à  l’UE », RFI, 6 octobre 2021