Le Sabordage de la noblesse

L'aéropostale des lettres

7 décembre 2023 par

Histoire

Le sabordage de la noblesse

  • Auteur : Fadi El Hage
  • Date parution : 01/01/2019
  • Difficulté : 1 / 5
  • Note : 4 / 5
  • ISBN : 978-2379330216
  • Edition : Passés composés

Dans cet ouvrage, Fadi EL HAGE étudie consciencieusement les étapes participant du déclin de la noblesse en France, de la fin du règne de Louis XIV à 1789. Page après page, l’historien montre qu’à partir du XVIIIème siècle, la noblesse française ne remplit plus son rôle au sein de l’ordre monarchique.

Plusieurs facteurs conduisent à cet effondrement.

 

Au premier chef : la longue période de paix relative qui s’ouvre au sortir des coûteuses guerres louis quatorziennes. Au sommet de l’Etat, en effet, s’installe un profond désir de paix, de la Régence du Duc d’Orléans au règne de Louis XVI. La France, dans cette perspective, n’entend plus s’étendre indéfiniment en Europe. De fait, la noblesse, traditionnellement destinée à la chose martiale, ne peut plus s’illustrer ni s’enrichir dans des guerres victorieuses. Les aristocrates, désertés par le désir de gloire, abandonnent peu à peu le métier des armes. Leur aptitude à commander s’en trouve ainsi dangereusement atrophiée. Des défaites régulières et particulièrement humiliantes – comme la bataille de Rossbach – laissent apparaître l’incompétence des privilégiés. Les soldats français, quant à eux, doutent de la qualité de ceux qui les commandent et savent pertinemment que leur avancement dans la hiérarchie militaire est impossible en tant que roturiers. L’armée s’en trouve par conséquent totalement démoralisée…

 

Parallèlement à ce processus, la haute noblesse critique abondamment le despotisme du défunt Louis XIV. Elle souhaite recouvrer ses prérogatives et son influence sur les affaires publiques, au moyen de réflexes carriéristes nuisant parfois aux intérêts de l’État. La noblesse se réserve ainsi de plus en plus étroitement les places les plus importantes, tout en encourageant la multiplication de fonctions et de titres prestigieux et rémunérateurs. Diverses factions se forment à la Cour pour se disputer les faveurs du prince. Les intrigues curiales prennent des allures de règlements de comptes, à travers l’emploi de scandales et d’opérations de diffamation contre certains nobles, ce qui ne manque pas d’affecter l’image de l’ordre tout entier dans l’opinion publique.

 

Par ailleurs, pour exister à la Cour, l’aristocratie a grand besoin d’argent. N’ayant pas le droit d’exercer d’activité commerciale à l’instar de la noblesse anglaise, les princes français sont contraints de s’endetter ou de se compromettre dans des scandales financiers, ce qui contribue également à leur impopularité. Certes, une part de la noblesse gère en sous-main de grandes manufactures en s’appuyant sur des roturiers à leur dévotion. Néanmoins, l’essentiel des privilégiés de l’Ancien régime demeurent nécessairement oisifs.

 

Comme le dit le proverbe, « l’oisiveté est mère de tous les vices ». Aussi les intrigues de Cour laissent-elles à voir une noblesse dépravée, décadente et plongée dans de fréquentes affaires de mœurs. L’ordre tout entier souffre d’une réputation de débauche. Pièces, essais, pamphlets et autres écrits, dont bon nombre sont issus de l’aristocratie elle-même, déplorent cet évident déclin de la noblesse, y compris sur le plan anthropologique. En effet, de plus en plus renfermée sur elle-même, la vieille noblesse française veille à assurer son propre renouvellement par un recours récurrent au mariage consanguin. Stérilité, fragilités et adultères achèvent ainsi d’alimenter le déclin démographique de l’ordre nobiliaire.

 

La crise est si profonde que la figure royale elle-même est contestée. Aux positions impopulaires des monarques, pacifistes et indifférents à la gloire, s’ajoute un cruel manque de présence et d’incarnation. Louis XV, se percevant comme trop grand pécheur, ne s’estime plus légitime à apposer les mains pour guérir les malades, s’attache à conserver une intimité à la Cour, fait preuve de discrétion dans l’exercice de son pouvoir et, du fait de sa voix, manque de charisme devant les assemblées politiques. Résultat : la fonction royale elle-même n’est plus source d’exemple aux yeux du peuple français…

 

En définitive, la justification de privilèges et de statuts particuliers s’érode dans la France de Louis XVI. Personne ne pense à dissoudre purement et simplement l’ordre de la noblesse en soi, mais l’héroïsme, le courage, la compétence, l’audace, la droiture, la dignité… sont vus non plus comme les attributs indéfectibles de l’aristocratie, mais comme les qualités intrinsèques des petites gens. Les titres ne sont plus suffisants pour s’acheter une légitimité. De fait, en 1789, la haute noblesse est perçue de façon quasi unanime comme une caste empêchant les plus méritants de parvenir aux postes de décision. L’idée d’une égalité sociale fait son chemin. Elle s’empare même d’une part de la jeunesse nobiliaire, qui choisit de déserter la Cour pour se rapprocher des roturiers travaillant dans leurs domaines. Peu à peu, les jeunes générations d’aristocrates, contraintes à l’oisiveté, ne se sentent plus concernées par les devoirs, charges et obligations de leurs lointains aïeux. Ainsi, progressivement, la conception selon laquelle « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » s’instille dans les esprits, reposant sur l’idée que « les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune »,c’est-à-dire sur le mérite…

 

Guillaume de Murcie