L’inquiétante étrangeté de l’Architecture

L'aéropostale des lettres

29 octobre 2021 par

Littérature

L'Architecture

  • Auteur : Marien Defalvard
  • Date parution : 29/10/2021
  • Difficulté : 5 / 5
  • Note : 5 / 5
  • ISBN : 2213717451
  • Edition : Fayard

L’Architecture, œuvre à considérer comme un Aérolithe.

 

Marien Defalvard est un jeune auteur français, il a déjà publié deux ouvrages ( “Du temps qu’on existait” (Grasset) en 2011, et “Narthex” ( Paris, Exils, coll. « Littérature »), un recueil de poésie en 2016).

 

Le grand renfermement médiatique cloisonne la littérature contemporaine à la promotion permanente d’auteurs se baignant avec une malsaine gourmandise dans le jus pourrissant de l’auto-référentialité égotiste. L’existence médiatique de Marien Defalvard étant quasi-inexistante, c’est par une furtive et discrète voie de traverse que nous avons pu dénicher ce joyaux littéraire; en effet, le critique littéraire Juan Asensio a longuement évoqué son œuvre sur le Stalker.

 

La lecture de L’Architecture se vit sous le mode expérimental. On plonge dans ce texte comme on descend dans une de ces grottes primitives, aux nébuleux langages obscurs et qui pourtant, nous attirerait irrémédiablement par un étrange magnétisme divinatoire.

L’architecture: allégorie symbolique d’une caverne hermétique de 300 pages, aux peintures rupestres s’éclairant à la lueur fébrile d’un maigre Cierge d’église, illuminant à chaque page les innombrables éclats poétiques à la profondeur d’oracle.

Véritable météore littéraire, L’Architecture est un œuvre sinueuse et complexe tant l’arc narratif se fond dans les dédales des multiples courbures composant cette fabuleuse édification littéraire.

 

“Celui qui me dirait qu’il n’a rien compris, je le comprendrais. Disons que j’essaie de fabriquer une architecture (ou d’écrire une langue ?) à la mesure de mon imagination – une langue (une architecture ?) qui soit le discours de mon imagination passé dans les hiéroglyphes français” (p. 131).

 

Le narrateur, un architecte, expose son projet d’édification d’un palais de justice aux autorités municipales de Clermont-Ferrand, l’ouvrage ayant pour fondement “une architecture catholique, un gallicanisme parfait qui nie absolument tout ce qui pouvait se tramer dans la trame médiocre des existences individuelles”(p.69).

S’en suivent de longues pérégrinations administratives acculant le narrateur à se réfugier dans l’édification d’une contre-architecture littéraire tissée sur la trame d’une

 “architecture du sens civilisé, lesté, jamais parodique, qui éclate dans les phrases elliptiques »(p.249).

 

Lieu de naissance du prodigieux Blaise Pascal, Clermont-Ferrand est désormais une ville apathique, amnésique, dont les avenues sont bordées “d’immeubles spatulés en forme atroces”(p.184), les rues ont des allures de cagettes bétonnées, répondant à une sorte d’impératif carcéral. 

Le narrateur témoigne d’un délabrement méphitique d’une ville sombrant fastueusement dans une romance apocalyptique. 

Ancien régisseur des lieux, on assiste à l’écplise du Beau, croulant désormais sous la “surenchère de matériaux hideux, de bétons administratifs, de cubes de pâles blanc et ciel ”(p.31).

 

Curieusement, c’est par cette par cette prolifération infinie de nouvelles constructions décapitées de toute assise esthétique que la ville se rapproche dangereusement de la minéralité intégrale du désert – Lieu du suprême silence et de l’immuabilité du Temps : le désert s’inscrit comme le parfait complément en miroir de cette “Ville sans oreilles, et donc enfermée dans sa langue.”(p.173).

 

Les résidus déstructurés et démembrés des ruines dispersées répondent à la vacuité durcie en béton ingrat qui se coulait et resurgissait en lamelles, en faisceaux, sous les crânes”(p.14).

Le Vortex de L’Architecture, son noyau central serait cette géniale intuition : les âmes sont le produit de la réfraction architecturale –”le moulage des lieux dans l’esprit, le décalque des plans”(p.65) – L’architecture serait le point-sublime d’une pensée, sa matérialisation effective. Ce principe de résonance inversée entre le Marbre et l’Esprit pousse l’architecte à se faire éthologue, il étudie à rebours les déperditions comportementales de l’animal malade contemporain. Il assiste à la création de cette “nouvelle race d’hommes, née sur les décombres d’un monde emphatique et guerrier, une race pharmaceutique, marchinée” (p232). 

 

Pour sauver la musicalité du monde, son expression la plus altière, Defalvard sonde la plaie du langage en portant jusqu’à l’embrasement l’incandescence du Verbe.

 

L’arborescence sublime du texte s’apparente à la floraison verticale d’une plante volubile s’enlaçant autour d’un antique obélisque enluminé d’astres mythiques.

Les sculptures ciselées des métaphores s’érigent en pilastres encastrés dans la cathédrale du Verbe, les éclats picturaux et poétiques peignent les arabesques allégoriques qui suspendent la voûte du cénotaphe contenant le cadavre du langage – authentique Dieu de Feu.

 

Pour lui, l’Art est intrinsèquement lié à cette “re-quête d’un don qui avait été immédiat puis dérobé”(p.214), dans les “nuits premières et fécondes, arrière-plans immortels d’un vertige créateur”(p.214).

 Defalvard seconde Ulysse dans ce retour à Ithaque, lieu mythique incarnant cette souche primitive hébergeant le berceau de l’Être, lieu du jaillissement de l’origine. 

 

“Retrouver la chimie d’un jour oblitéré

Recomposer, à toute force, cette chimie exacte et vague

Et y superposer, enfin, les décantations qui survirent.” (p.255).

 

L’Architecture se déploie comme une vaste  re-quête cathartique d’un Arché (signifiant en grec ancien le commencement, l’origine, la cause) purifié de toutes les profanations. Defalvard reprend la voie jadis empruntée par Arthur Rimbaud, celle de la re-création d’une Alchimie du Verbe, elle seule capable de restituer l’indicible primitif.

 

“Une nouvelle foi : Par un renoncement à la liberté, entièrement purifié dans la quête du commencement, dans la quête du début, dans l’incompressible quête de l’origine – le premier Temps retrouvé.”( p.98)

 

L’eternel question des premiers Temps, de la faille initiale, a valeur de combustible pour Defalvard ; il appartient pleinement à la catégorie de ces écrivains, comme Paul Gadenne (p.149) qui creusent et sondent “les grandes intuitions de la connaissance de l’origine : cette saisie originelle, cette proue originelle, cette valeur quasiment intouchable” (p.148).

 

L’Architecture se dévoile comme une immense fresque peinte à la gloire de la Grande  Littérature, évoquant tour à tour Virginia Woolf (p.161), Nietzsche (p.296), Montherlant (p.46),  son auteur rejoint les étagères sacrées des auteurs  “qui, une fois lus,  vous laissent pantelant et diffus, déstructurent visuellement la structure du monde, sondent l’impossible et vous rendent un monde invivable, inadapté”(p.48)

 

 

Camarade Henri